Rencontrer celles et ceux qui feront la recherche de demain et entrer dans leur imaginaire, c’est l’objectif de These’s Art. Un projet photo au long cours qui met à l’honneur des doctorants membres du personnel de l’Université Claude Bernard Lyon 1.
Coordonné par Eric Le Roux et Clara Vassallucci – Direction de la communication de l’Université Claude Bernard Lyon 1
Une thèse, quelle affaire !
La thèse, c’est la première fois, dans tout le cursus d’enseignement, où l’on vous traite comme un adulte responsable. Auparavant, on vous posait toujours une question à laquelle on connaissait la réponse, mais on vous cachait la réponse et le but était de contrôler ce que vous saviez.
Mais quand le directeur de thèse vous donne un sujet, c’est une question à laquelle même lui ne sait pas répondre, à laquelle personne ne sait répondre. Parfois on ne sait même pas s’il y a une solution !
Ma première séance avec mon directeur ne s’était pas déroulée au mieux : j’avais été incapable de dire un mot sur son article que l’on m’avait donné à lire; j’avais ouvert de grands yeux devant l’équation dont j’étais censé faire mon pain quotidien. Et surtout, je ne savais pas vraiment dire si j’avais la qualité la plus fondamentale du thésard: la motivation. Mais quelques mois plus tard, tout avait changé. Littéralement, j’étais tombé amoureux du sujet, et cet amour allait changer ma vie. Avec la passion tout s’arrange, et on supporte tout. Les heures à se creuser les méninges passent rapidement; les rendez-vous si impressionnants avec le directeur de thèse, dans la grande tour de l’université, deviennent des moments de dialogue passionnants. On fait bien plus que le travail demandé. Onmange des heures de sommeil et on ne s’en rend même pas compte; on parle de son problème favori à cent interlocuteurs différents; on a le sentiment d’avoir évacué à jamais l’ennui. Et on progresse… au début lentement, très lentement et à la fin très vite !
Quand vint le moment, j’étais prêt à soutenir. Le sujet n’avait pas pris exactement les directions prévues au départ, mais il en avait trouvé d’autres qui n’étaient pasmoins intéressantes. Le hasard, l’énergie, la curiosité avaient été trois moteurs puissants. En trois années, j’étais passé de l’obscurité à la lumière. L’obscurité tâtonnante de celui qui tente désespérément de comprendre les exposés abscons des collègues et ne comprend rien à sa propre mission, même pas la question qui lui est posée. Et la lumière fière de celui qui est devenu le meilleur spécialiste de ladite question et qui prend plaisir à exposer une solution.
Toute ma vie de chercheur — faite de voyages et de questions, de rencontres et de questions, d’exposés et de questions, de questions et de questions — je l’ai découverte dansma thèse. J’ai patiemment acquis les réflexes dumétier, partagé la vie des enseignants-chercheurs plus expérimentés, organisé des groupes de travail pourmes camarades de joyeuse galère, voyagé déjà un peu partout à la recherche du bon problème et de la bonne solution. La thèse est un compagnonnage que rien ne remplace. Et c’est aussi durant ma thèse que j’ai découvert le principe de ma toute première contribution durable : la solution de la conjecture de Cercignani, le démarrage d’un cycle de longs efforts sur le thème de la production d’entropie. Des germes pour l’avenir !
Au début de ma thèse, j’étais un point d’interrogation.
A la fin de ma thèse, j’étais un mathématicien.
Cédric Villani, parrain du projet These’Art
Mathématicien enseignant-chercheur à l’Université Claude Bernard Lyon 1
Directeur de l’Institut Henri-Poincaré
Médaille Fields en 2010